Le Reflet

 
 

La neige tournoie, légère et un peu folle. Esseulés le long des rues mornes et sales, quelques arbres aux doigts difformes gantés de verglas se balancent , tout arqués, comme s'ils étaient vaincus pas le froid. Une lune blafarde peint de sa lumière vaporeuse ces carcasses inertes. À ma fenêtre, le vent s'impatiente puis file par l’étroite ouverture en donnant une faible poussée au voilage délicat qui respire lourdement. À chaque inspiration, des écharpes de lumière pâle et triste tourmentent mon visage sur lequel le sommeil hésite à se retirer.

Après plusieurs essais, je parviens tant bien que mal à relever les paupières au bout desquelles semblent accrochés de petits boulets de plomb. J'incline un peu la tête et mon regard croise aussitôt cet exécrable miroir placé près d'un vieux cadran dont les battements sourds et réguliers accentuent la monotonie des nuits d'hiver. Les ombres de ma figure surgissent sur les murs puis s'effacent au gré de cette lumière fade qui oscille dans l'air vicié de la pièce. Je suis affreusement bouffi comme si j'avais pleuré toute la nuit en rêvant à je ne sais trop quoi de pénible. Avec des traits aussi horriblement tirés et ce goût acide qui brûle ma poitrine, je ne peux faire autrement que maudire cet objet rebutant dont l'authenticité m'est insupportable. J'ai beau le scruter sous tous les angles possibles mais je ne reconnais plus celui qui autrefois appréciait le jour et saluait la vie parce qu'il possédait tant d'affinités avec elle. Tout ce que je vois maintenant c'est un être atone au caractère revêche qui récite d'interminables soliloques afin de briser son inviolable silence et meubler la solitude qui l'oppresse. Comme j'aimerais qu'un de ces matins cette détestable glace se transforme et laisse paraître à sa surface un doux mensonge auquel je me laisserais prendre. Je verrais alors tout autrement; moi, l'homme, l'existence. J'aurais enfin quelqu'un à aimer et quelque chose à admirer; quelque chose de beau, grand et fier. Je retrouverais enfin cette dignité que j'ai négligée puis oubliée ne sachant pourquoi ni comment.

À ces pensées vaines que ma voix chevrotante offre timidement au silence, je tourne brusquement la tête, comme si mes yeux s'étaient effrayés à la vue de cet abîme monstrueux qui sépare l'espoir de l'écrasante réalité.

©Stephen Clough 2021

 
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Ténébreuse chimère