Le rêveur

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Il habite un château sans âge, un inviolable asile où les voûtes saillantes sont parées de divins fantasmes et où les murs, tapissés de majestueuses rêveries, surpassent le rêve même. Voyageur souterrain, il fraternise avec l'abîme tout en courtisant les cieux puis, parmi les astres éloignés, secoue ses ailes coiffées des cendres du passé et voltige sur les écharpes du futur. Parfois en suspend, il agite les parfums séraphiques d’une atmosphère figée dans l’éternité du moment et libère le temps par les fenêtres ouvertes sur des horizons infinis.Le silence, délicieuse musique éthérée, source intarissable de son abyssale pensée, résonne dans sa tour gracieusement érigée dont mille et un miroirs multiplient les reflets de son imagination parfois lugubre parfois lumineuse, ce clair-obscur de tout être pensant. Architecte désinvolte de ses fantaisies spirituelles , il tend l'oreille aux murmures discordants des religions et ne leur offre que d’indifférentes accolades , lui qui préfère contempler la voûte céleste avec la naïveté débonnaire et rieuse de l’enfant ; cet esprit épuré dont ni le bien ni le mal n’est érigé en notions et qu’aucun dieu humain ne peut atteindre. Son cœur volage, sans dilection aucune, se laisse enivrer par le chant liquoreux des amours éphémères sans cesse renouvelées par de bouillantes élucubrations libertines. Comme un poème inachevé, il multiplie les stances idylliques et sensuelles pour le sceller dans l’éternelle félicité.

Effacé, presque muet, toujours enfoui en son être, il épie les mouvements de l’homme, apprend à maîtriser sa haine envers ce dernier et, avec parcimonie, ne lui octroie qu’une fragile amitié. Infatigable bête nocturne, il abhorre les systèmes en repoussant les enseignements acquis pour refaire journellement l’histoire du monde et conjugue les conventions prescites avec les plus audacieuses conjectures afin de broyer toutes convictions.. Il sait mieux que quiconque transposer les faits, soit pour les sublimer ou les élever en poésie, soit pour les rendre plus odieux encore. En continuel dialogue avec lui-même, il ne consacre que de rares mais précieux mots à ceux qu’il admire.Il est pour lui-même son plus grand ami, un poète ou un fou, ce qu’il y a de plus léger ou de plus lourd. Blotti dans la quiétude de son imaginaire, il savoure ce qu’il est, lui,le rêveur.

©Stephen Clough 2021

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